Tchat, réseau sociaux, blog, achat en ligne, navigation web, sites de partages de photos ou de vidéos…Une fois transmises ou mises en ligne sur Internet, les données sont stockées sur des ordinateurs. Elles peuvent être copiées par des amis mais aussi et si elles sont publiques, potentiellement par tout le monde. Les données peuvent être dupliquées à l’infini, indexées, sorties de leur contexte initial et exploitées à des fins différentes que pour celles pour lesquelles elles ont été livrées ou collectées, et cela sans limite dans le temps. Elles possèdent une vie propre qui échappe à leurs propriétaires mais pas forcément aux fournisseurs de services à travers lequel l’internaute a « délégué » ses données, ni aux personnes ou institutions à qui elles ont été envoyées. En Europe comme en Suisse, des Lois existent concernant la protection des données à caractère personnel mais ce n’est pas le cas partout, notamment aux États-Unis où les données personnelles sont considérées comme des actifs possédant une valeur marchande. Elles sont exploitées commercialement notamment pour de la publicité ciblée et personnalisée. La majorité des acteurs incontournable du Net américains offrant des services dits gratuits tire d’énormes bénéfices de la commercialisation des données personnelles car leurs modèles économiques sont fondés sur l’exploitation des données livrées ou collectées y compris parfois à l’insu des utilisateurs. En acceptant d’utiliser leurs services, l’internaute consent à ce que ses données soient transférées, donc traitées aux USA (Cf. Licence d’utilisation des produits) échappant ainsi au cadre juridique national ou européen de la protection des données. La conservation des données par des personnes ou organisations, en dehors de toute maitrise par leur propriétaire, l’incapacité de ce dernier de ne plus les rendre accessibles est un problème auquel tout un chacun peut être confronté.
Personne n’est à l’abri de communiquer ou de publier des informations personnelles, qui à long terme, ou sorties de leur contexte initial, pourraient lui porter préjudice. Figer « à jamais » la mémoire des activités numériques des personnes (données personnelles et comportementales) est un risque pouvant porter atteinte à leur dignité et bien être. La mémoire humaine est sélective, les processus d’oubli font partis de la vie, contribuant, lorsqu’il ne s’agit pas de maladies, à la rendre supportable. Le syndrome savant affecte certaines personnes souffrant de troubles mentaux ou d’autisme dotées d’un « îlot de génie » comme par exemple la faculté de se souvenir de tout, de tout mémoriser dans les moindre détails et qui les handicape profondément. La mémoire n’est ni synonyme de connaissance, ni de bonheur. On ne peut s’empêcher de penser au film Rain man de Barry Levinson (1988), avec Dustin Offman interprétant le rôle d’un « autiste savant » inspiré d’une personne aux capacités de mémorisation impressionnantes mais incapable d’effectuer des actions ou raisonnements simples. L’humain est biologiquement programmé pour oublier. Les capacités informatiques de sauvegarde et de recherche de l’information s’opposent à l’indispensable fonction humaine de l’oubli pour vivre pleinement le présent sans être prisonnier du passé.
La mémoire digitale infinie, la mémorisation permanente de données (qui peuvent être décontextualisées ou corrélées) déléguée à des entités commerciales telles que Google ou Facebook pour ne citez que deux exemples, sont problématiques. La seule bonne foi de ces fournisseurs ne peut garantir un usage loyal des données personnelles et ne peut être suffisante au regard des intérêts économiques en jeu et des stratégies marketing existantes. Les individus ont le droit de changer sans que pour autant, ce qu’ils ont dits ou dévoilés d’eux mêmes, à une époque de leur vie, ne puisse être éternellement retenus contre eux (notion de prescription). Ce qui peut être mis en défaut par la mémoire infaillible du réseau, dont certains fournisseurs de service pourraient finir par connaitre des personnes mieux qu’elles-mêmes. Chacun fini par oublier ce qu’il a dit mais pas le fournisseur de service via lequel les informations ont été confiées. Dès lors ce dernier est en position de force et déteint un pouvoir sur les individus, le pouvoir de l’information ! Le pire pouvant être alors d’accorder une totale confiance à des mémoires digitales et de conférer un trop grand pouvoir de réalité aux informations stockées alors que celles-ci ne sont pas toute la réalité. De plus, elles peuvent être altérées, modifiées ou détruites. Les informations numériques sont vulnérables et peuvent être atteintes dans leur intégrité ou véracité par des erreurs involontaires ou non et manipulées par ceux qui en maitrise le stockage. Revisiter l’histoire pourrait être alors un jeu d’enfant. Jusqu’à présent l’humain dépensait beaucoup d’énergie pour se souvenir désormais cela sera pour oublier !

Texte adapté du Que sais-je ? Internet, coécrit avec Arnaud Dufour. Presses universitaires de France, 11ème édition, 2012 (p. 118 – 120).



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