L’Europe compte parmi les principales victimes de la crise économique et sociale qui s’étend depuis 2008 aux quatre coins de la planète. Obligée de se transformer en institution de promotion de l’austérité, l’Union Européenne – par l’entremise de sa Commission – est devenue en quelques années un repoussoir très puissant pour les citoyens de ses pays membres. Autrefois, rempart contre les atrocités de la guerre, l’Europe ne peut plus aisément mobiliser cet argument, à la fois en raison de l’éloignement des souvenirs concrets des conflits du XXe siècle et par son incapacité à peser dans la résolution des conflits existants à ses marges (Ukraine et Syrie). L’utopie d’un pacifisme spontané est reléguée dans les limbes de l’histoire.

Exsangue, l’Europe semble en panne d’imagination, en panne de projets. Terre d’apparition de la plus importante révolution technologique de l’histoire de l’humanité (la Révolution industrielle), elle ne pèse plus autant sur les transformations du monde. Dans ce contexte, il appartient aux citoyens de faire des propositions, d’identifier des directions dans lesquelles le projet politique et social du continent pourrait (re)prendre du sens, et où l’institution pourrait devenir garante de certains pans d’un modèle social supranational.

 

Tout d’abord, l’Europe pourrait promouvoir certains droits fondamentaux qui pourraient devenir des marqueurs d’une vision du monde, d’une vision des corps et de l’égalité entre femmes et hommes : sur l’accès libre et garanti à l’interruption volontaire de grossesse, autour d’une union civile pour les couples de même sexe (« un mariage pour tous »), sur les conditions de détention dans les prisons et d’exécution des peines, sur les âges de scolarité obligatoire et un socle de compétences à acquérir (notamment dans la maîtrise de langues étrangères – qui peuvent être des disciplines pleines et entières ou être intégrées dans des cursus identifiés davantage comme « européens »), sur l’égalité salariale entre les hommes et les femmes. Bien évidemment, ces droits sont déjà presque tous acquis et consolidés – au moins dans les lois –, mais à l’heure de grandes recompositions géopolitiques et religieuses, certains « progrès » doivent être rappelés aux citoyens européens, car si les souvenirs de la guerre sont lointains, l’égalité est à (re)conquérir chaque jour.

 

Plus pragmatiquement, alors que des débats sur le coût des autoroutes font rage dans plusieurs pays, pourquoi les infrastructures de ce type (autoroute, aéroport, gare et ligne de chemin de fer) ne seraient-elles pas placés sous le mandat de l’Union Européenne – ou d’un organisme à créer relevant d’une institution européenne –, à la fois pour l’entretien, la fixation du coût et la conduite des projets d’extension.

L’Europe est un continuum géographique de Talinn à Athènes, et de Bucarest à Lisbonne ou Dublin, les voies routières, aériennes et ferrées sont autant de traits d’union et une telle politique aurait aussi l’avantage de pouvoir mettre en place une politique commune de transport (où le rail serait une alternative enfin crédible pour les longs déplacements de marchandises). Bien évidemment, vous allez me rétorquer qu’un commissaire au transport siège à Bruxelles et qu’il travaille dans cette perspective mais quels sont les résultats de tout cela ? Les résultats sont-ils dans le « dumping routier » entre France et Allemagne le long de la vallée du Rhin ? Dans les disparités immenses en termes de prix des trajets ? Dans les transports routiers internationaux peu régulés et peu efficients sur le plan écologique ?

L’avantage d’un projet ad hoc serait aussi de pouvoir associer des pays sur la base de la collaboration volontaire, soit avec la Suisse qui se situe hors de l’Europe politique mais en plein cœur des grands axes de communication continentaux, ou bien avec les pays situés à l’Est, en ex-Yougoslavie, voire au-delà de la frontière roumano-bulgare, si la situation politique s’apaise.

Pour les autoroutes, l’idée ne serait pas de tout fixer depuis Bruxelles, mais de les penser avant tout sur un mode « connecté », de déterminer une manière homogène de faire payer les usagers et d’assurer des règles de conduite pour l’ensemble du continent. Si le prix d’un kilomètre d’autoroute (à construire, puis à entretenir) n’est pas le même à Copenhague et à Sofia, bien évidemment la vignette ne pourra avoir le même prix au Danemark et en Bulgarie, mais le procédé sera semblable et identifiable comme « européen ».

 

L’Europe pourrait aussi favoriser la construction d’une « culture » commune. Pourquoi n’existe-t-il pas davantage de « musée européen des beaux arts », de « musée européen des transports », de « musée européen du sport (du football) »? S’il existe un prix du « musée européen de l’année », les lauréats sont généralement des musées nationaux. Pour autant, ces lieux pourraient mettre en valeur les traits d’union et les convergences qu’il existe entre la France, l’Allemagne, l’Angleterre, la Bulgarie et les autres pays, autour d’un héritage culturel qui touche à tous les arts et à toutes les formes de techniques et de technologies.

Ce type d’initiatives peut également passer par la promotion de films, de séries, d’expositions temporaires, de programmes télévisés, où la collaboration entre les différents pays pourrait être mise en lumière. La chaîne Arte, basée à Strasbourg, est un modèle du genre, et par-delà la proximité entre la France et l’Allemagne (la chaîne est franco-allemande), elle participe incontestablement à ce que les spectateurs se sentent « européens ». De la même manière, la série Crossing Lines diffusée depuis 2013 mais stoppée après la seconde saison, est aussi un bel exemple. Au-delà d’un quelconque jugement sur son scénario ou sur la qualité des intrigues proposées, la série fait coopérer des policiers de différents pays dans une unité rattachée à la Cour Pénale Internationale (CPI) de La Haye, lorsque les crimes ont un caractère « transnational ». A travers les enquêtes, le spectateur peut ainsi découvrir les principales villes du continent et se familiariser avec une géographie, comme dans le cadre des soirées de Coupe d’Europe de football ou de l’Eurovision.

 

Si le maintien des programmes d’échanges d’étudiants ou d’enseignants (le célèbre programme ERASMUS) n’est pas discuté malgré les difficultés économiques, ces réalisations soulignent que les choses sont possibles et que les « Européens » ne sont pas insensibles à des projets fédérateurs qui participent concrètement à créer du dialogue, de la compréhension réciproque et à rapprocher les populations par-delà des frontières qui bien qu’abolie dans les faits existent toujours dans les têtes. Face à cela, l’Europe doit cesser de se comporter comme la gardienne d’un coffre-fort qui n’existe que dans l’esprit de quelques technocrates, elle doit s’ouvrir au pragmatisme et à la conduite de projets qui vont à la fois simplifier le quotidien des citoyens et indiquer certains caps sociétaux.



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